EXPOSITION “HORS-CHAMP”

En ces temps suspendus, exposer hors-champ promet une aventure expérimentale.

Je remercie vivement Karine Saporta et la Galerie IGDA 2.0 de me proposer cette visibilité, un véritable remède contre l’incertitude.

Quitter les murs de la galerie, quitter ce champ visuel vers une autre fenêtre ouverte sur un champ, virtuel celui-là, convoque alors un autre récit.

Je tente ainsi une proposition de chapitres-séries composés chacun d’un texte et d’un ensemble d’images, pour répondre aux déclinaisons de l’écran.

Le journal papier – en l’occurrence Libération – son information et sa matière sont assurément les matrices de mon travail. Le caractère éphémère du papier journal, sa matérialité fragile proposent une exploitation plastique infinie. À l’instar de mes Palimpsestes, mes Bandes à Part ou de mes Inside/Outside, le contenu informatif de mon journal s’immisce dans la matière et offre une nouvelle surface sur laquelle vont apparaître des réminiscences d’actualité.

Je peux alors dessiner au Bic à ma guise, incruster des photographies ou bien coller des stickers, voire des codes-barres, mon support proposera alors un tout autre visuel au regard.

Par le prisme du journal papier, je tente ainsi de questionner le statut de la presse-papier, son avenir, mais aussi le statut de l’image au travers de l’écran numérique.

Né en 1954 dans le Cotentin, Yves Ledent vit et travaille dans la plaine de Caen. Après avoir travaillé plusieurs années sur les chantiers navals de Cherbourg, il quitte le port mais reste à terre… il quitte la mer pour la plaine, ces deux géographies n’ayant de commun que le vent et l’horizon.

Il n’enseigne plus, son activité artistique lui prend son quotidien et met en œuvre son journal qu’il appellera Gris Quotidien… travail qui va s’organiser autour de cette préoccupation et ponctuer ses heures journalières.

Son journal épousera plusieurs formes. Son Mur d’Information évoluera au fil de ses Gris Quotidiens. Viendront ensuite ses Panneaux Carrés et ses Carrés Long jusqu’à l’apparition des Palimpsestes, véritables reliques soutenues par le Journal Libération.

Les journaux d’Yves Ledent ont en effet toujours été issus des pages de Libé.

Palimpseste sera le lien de toutes ses productions. Ses Constellations de Plaine-Mer ou de Blisters l’accompagneront dans son parcours. En effet, tous ces dispositifs affichent une réelle préoccupation liée à la disparition.

Le motif et l’outil, autre chapitre inscrit au récit d’YL, sont les maîtres-mots pendant sa résidence au Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle d’Alençon. Il dessine au Bic noir un grand nombre de drapés faisant partie des œuvres exposées dans la salle des Grands Tableaux du Musée.

On retrouvera cette dimension du motif et de l’outil quand il entreprend de dessiner les canettes de Coca-Cola au Bic rouge et noir. Entreprise laborieuse et vaine face à ce produit de grande consommation.

Outre les Palimpsestes, dans l’ensemble des déclinaisons de World Trends, Bandes à Part à Tombé des Nues… il ne cesse d’utiliser le Bic, cet outil éloquent.

Autant lors de ses expositions, ses dispositifs, Constellations, installations, et volumes sont parfaitement mis en espace, autant ses deux ateliers sont de véritables antres où s’entassent grandes toiles, volumes et objets de toutes sortes. Cette occupation des lieux entrave tout accès…

La résidence écourtée d’Yves Ledent à Cherbourg en Cotentin, confinement oblige, ne le résigne pas, il persiste à collecter les blisters, emballages plastiques protégeant nos produits de consommation identifiables à leur forme… À l’image de ces artéfacts envahissants, il en sature des murs entiers après avoir rempli ces petits plastiques de peinture blanche.

… Il attend un autre mur d’accueil pour d’autres constellations de blisters.

YVES LEDENT – EXPOSITION “HORS-CHAMP”

PALIMPSESTE

Palimpseste est le nom donné à une nouvelle série dans laquelle j’utilise deux médiums liés à l’écriture et au texte.Libération tout d’abord, journal quotidien qui a bouleversé par son approche journalistique, photographique et par sa pagination, le paysage de la presse française. Ensuite le stylo Bic, invention remarquable des années 50 qui a facilité radicalement notre rapport à l’écrit.

Aujourd’hui ces deux médiums se voient confrontés au numérique, les journaux en ligne prennent en effet le pas sur la presse papier. Comment celle-ci peut-elle se situer dans ce flot d’informations ? Peut-elle éviter sa propre disparition ? Le stylo, aussi, est menacé par le digital, notre relation à l’écriture manuscrite est en train de changer de manière significative, notamment parmi les nouvelles générations. Ce questionnement lié au statut de la presse a commencé en 1997 avec mes Gris Quotidiens et s’est poursuivi sans discontinuer. Aujourd’hui encore, j’utilise ce support- outil, mais à l’image d’un palimpseste dont l’inscription a été grattée par un copiste du Moyen Âge afin d’être réutilisé pour un autre texte. Ici, je ne gratte pas le papier de Libé, mais j’enlève la première peau de la page du journal à l’aide d’un ruban adhésif afin de laisser place au dessin qui se fera au stylo Bic. Dans cette série Palimpseste le Bic s’éloigne ainsi de sa fonction initiale et s’impose comme instrument de dessin. La transparence du papier journal donne à voir quelques réminiscences d’informations imprimées au verso de la page de Libé, résidus visuels que je tente de composer et de masquer partiellement avec mon outil éloquent le Bic… geste véritablement obsolescent à l’ère du numérique.

INSIDE/OUTSIDE

Ou ici et ailleurs

Ce travail lié à la lecture de mon journal est réalisé en simultané avec mes Palimpsestes. Viennent se juxtaposer des images de plaine ou de mer d’ici sur une actualité venue d’ailleurs. Tout un vocabulaire graphique se greffe ainsi sur le papier et fait le lien entre ces deux mondes contrastés.

BANDES À PART

La richesse iconographique de Libé incite à son exploitation, je la récupère alors partiellement en bandes successives à l’aide d’un ruban adhésif. Estimant la superposition verticale suffisante, j’occulte d’un bandeau de peinture noire la dernière image apparue… interdisant ainsi tout repère visuel susceptible de proposer une interprétation figurative. Seules quelques traces subsisteront à la périphérie de cet écran noir.

TOMBER DES NUES …

Le traitement infligé à chaque image du papier/journal en arrachant la première pellicule à l’aide d’un ruban adhésif, donne à voir un document filtré, flou… Ce support va laisser libre-cours à mon Bic noir pour y installer un nuage en suspension. Cette nuée participe au déplacement du contexte initial de l’image, on se laissera alors diriger vers un autre récit.

NUAGES EN …

Nuage en forêt, nuage en ville… saturer au Bic noir un événement et ne laisser apparaître qu’une partie de l’image souvent identifiable donnant alors le titre à l’œuvre…